Dans le premier tome de ses Mémoires Le fils de la Nation, publié en mars 2018, Jean-Marie Le Pen, le co-fondateur du Front national racontait son amour de la Bretagne, la résistance, la torture en Algérie (sans vraiment lever le voile sur sa véritable implication) et son regard sur le Général de Gaulle, qu’il détestait. Le deuxième tome Tribun du peuple, paru en octobre 2019, évoque la construction du Front national, sa vie familiale et personnelle tumultueuse ainsi que la transmission de son parti qui ne coule pas de source. Jean-Marie Le Pen s’est éteint ce mardi à l’âge de 96 ans dans un établissement de Garches (Hauts-de-Seine) où il avait été admis il y a plusieurs semaines, a fait savoir sa famille.
Historienne spécialiste de l’extrême droite Valérie Igounet avait décrypté pour France Culture en juin 2018 comment ce natif de la Trinité-sur-Mer (Morbihan) est devenu cet homme provocateur qui a réussi à faire passer sa formation politique d’extrême droite de 1,3% des voix lors de son premier scrutin en 1973 à un parti présidentiable.
1956 : le départ pour l’Algérie
Jean-Marie Le Pen a déjà un engagement politique à l’extrême droite lorsqu’il part combattre en Algérie. À l’université de droit, il distribue Aspects de la France avec les étudiants royalistes. Puis en 1956, grâce à Pierre Poujade, il obtient un siège de député à Paris. À 28 ans, il est le plus jeune élu issu de ce scrutin. Mais il se retire provisoirement du parlement pour combattre en Algérie. Une expérience qui sera fondatrice.
“Il faut bien voir la place centrale que va avoir la guerre d’Algérie pour la fondation du FN”
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“Le Front national se constitue avec plusieurs mouvances, dont celle de l’Algérie française mais aussi les vaincus de la Seconde Guerre mondiale. Charles de Gaulle est leur ennemi. Aujourd’hui, si vous prenez l’exemple de la Mairie Rassemblement national de Beaucaire, lors de certaines commémorations liées à l’Algérie française, le maire Julien Sanchez sait que cet électorat est présent.”
1972 : un Front national groupusculaire
À l’initiative du Front national se trouve le mouvement néo-fasciste Ordre nouveau, dont Francois Duprat était la tête pensante. Il avait pour ambition de réunir tous les groupuscules de l’extrême droite qui ne s’entendaient pas entre eux. Pour ce projet, François Duprat fait appel à Jean-Marie Le Pen. Il voit en lui un parfait leader.
“François Duprat est l’un des idéologues principaux dans l’histoire du Front national”
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“François Duprat est le premier à proposer la thématique de l’immigration au Front national. Avec son compère Alain Renaud, il a créé un groupe de presse et tous deux diffusent sur le plan international et dans la France entière cette idéologie qu’on appelle le négationnisme.”
1983 : “La fin de l’anonymat” et le “tonnerre de Dreux”
Pour la première fois dans l’histoire du FN, une liste commune RPR-FN est constituée à Dreux, en Eure-et-Loir, pour les municipales de 1983. Au terme d’une procédure judiciaire, le FN fait irruption sur la scène nationale. Le parti de Jean-Marie Le Pen remporte l’élection avec 55,3% des voix.
“Le Front national a beau encore être un groupuscule politique. Il est composé d’hommes de terrain très engagés, comme Jean-Pierre Stirbois”
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“Au début des années 80, ce parti commence à avoir une visibilité. Jean-Pierre Stirbois est un vrai militant. Il s’investit totalement à Dreux pour le Front national. Quand on parle aujourd’hui de cette alliance possible entre la droite et l’extrême droite, cela a commencé bien plus tôt. Ce qui est intéressant c’est que cette alliance fonctionne. C’est aussi le début de l’histoire des slogans du Front national. Ce parti a réussi grâce à cette thématique xénophobe.”
1987 : “Le point de détail”
Jean-Marie Le Pen a été condamné plus de 25 fois pour apologie de crimes de guerre, provocations à la haine et à la discrimination, antisémitisme ou encore pour des injures publiques. Six de ses condamnations concernent les chambres gaz décrites comme un “détail” de l’Histoire. Un “détail” évoqué pour la première fois sur RTL en 1987.
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“On sent qu’il est déconcerté par ses premières paroles qui l’emmènent tout simplement sur le terrain du négationnisme”
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“Le soir même, Jean-Marie Le Pen dit à son conseiller en communication : “J’ai fait la plus grosse connerie de ma vie”. À partir de ce dérapage, l’axe de la Seconde Guerre mondiale, l’axe de la diabolisation et de la provocation vont remplir les pages de ce parti.”
1998 : la scission avec Bruno Mégret
Deux lignes s’affrontent au Front national. Celle de Bruno Mégret, transfuge de la droite qui prône déjà la “dédiabolisation” et une forme d’union des droites. Il déplore les “dérapages” du numéro un du FN sur les chambres à gaz mais aussi son goût pour “la célébrité”, “les voyages” et “l’argent”.
“Bruno Mégret pense que Jean-Marie Le Pen va devenir un obstacle pour le Front national”
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De l’autre côté, Jean-Marie Le Pen ne supporte pas qu’un numéro 2 lui fasse concurrence. La plupart des militants, écœurés par les querelles de personnes, quitteront le parti.
“Bruno Mégret, un ancien homme de droite, a été fondamental dans l’histoire du FN. Cet homme et d’autres se disent que Jean-Marie Le Pen peut être un obstacle pour l’avenir du parti. La scission est traumatisante pour Jean-Marie Le Pen et l’histoire du parti. À l’époque, le FN est en pleine dynamique avec plus de 40 000 adhérents, un chiffre inédit. La majorité des cadres et les militants partent avec Bruno Mégret.”
2002 : le FN au deuxième tour de la présidentielle
Pour la première fois depuis la création du FN, Jean-Marie Le Pen arrive au second tour de l’élection présidentielle. Aucun sondage ne le plaçait devant Lionel Jospin pour se qualifier derrière Jacques Chirac mais la dispersion des voix du premier tour lui a tracé un boulevard. Jean-Marie Le Pen a 73 ans lors de sa campagne d’entre-deux-tours.
“Jean-Marie Le Pen n’était pas prêt, il ne s’attendait pas vraiment à être au second tour”
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“Jean-Marie Le Pen cherche à gommer ses aspérités, c’est le début de la dédiabolisation mais les principaux cadres ne sont plus là. Il y a un trou d’air dans l’histoire du Front national.”
2015 : Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen : la transmis-scission ?
Marine Le Pen est à la tête du FN depuis quatre ans lorsqu’elle décide d’exclure son père en 2015. La fille de Jean-Marie Le Pen a certes repris l’héritage mais elle adopte un registre beaucoup plus social dans ses interventions faisant appel aux “valeurs de la République” ou à la laïcité. Elle est en rupture avec la stratégie de la provocation développée par son père qui, dans l’hebdomadaire Rivarol, vient de faire l’éloge du Maréchal Pétain.
“Depuis plusieurs années Marine Le Pen disait qu’elle ne voulait pas donner la même direction au parti que son père”
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“Pour Marine Le Pen ce nouvel entretien de Jean-Marie Le Pen dans Rivarol est celui de trop. Les membres du parti en sont conscients : on ne peut pas être un parti avec une image antisémite et pouvoir prétendre avoir une place au sein d’un pays comme la France. “
2015 – 2018 : la bataille judiciaire
Jean-Marie Le Pen s’oppose à son exclusion. Très procédurier, il mène une véritable guerre – trois ans durant – à sa fille. Il parviendra à garder la présidence d’honneur du parti jusqu’au congrès de mars 2018, date à laquelle la fonction est supprimée. Lorsque le FN prend le nom de Rassemblement national en mai 2018, Jean Marie Le Pen juge que c’est une “trahison” et “un honteux effacement”. L’eurodéputé rejoint aussi le parti européen néofasciste Alliance pour la paix et la liberté. Il ne siège plus dans le groupe du Rassemblement national à Strasbourg. Il est entouré d’un dernier carré de fidèles dont son conseiller en communication Lorrain de Saint Affrique.
“Jean-Marie Le Pen n’est plus au Front national mais certains proches continuent à porter sa voix”
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“Jean-Marie Le Pen est loin d’être mort politiquement. Marie Le Pen a tenté d’afficher un nouveau départ après les élections de 2017 d’où le nouveau nom de Rassemblement national, cette appellation que Jean-Marie Le Pen avait choisi pour les élections législatives de 1986”.
