Clap de fin sur France 3 pour Patrick Brion, après 48 années d’antenne. Avec au programme ce vendredi soir le film César, de Marcel Pagnol. ‘Le Cinéma de minuit’ devrait se poursuivre, mais sans la voix mythique de son fondateur. Entretien avec l’historien du cinéma qui a éveillé tant de générations au 7e art et qui nous a notamment confié ne pas vouloir s’arrêter de voir des films, anciens et récents, et d’écrire sur sa passion.
Quel rôle a joué le Cinéma de minuit depuis que vous l’avez créée ?
L’émission a joué un rôle de passeur, entre l’histoire du cinéma, la variété de genres développés dans cette histoire et un public qui se renouvelle et qui doit découvrir grâce à la télévision des films qu’il ne connaît pas. Et ce rendez-vous a débuté à un moment où il n’existait pas de ciné-club, c’était l’émission la plus ancienne de la télévision [NDLR : après Le Jour du Seigneur].
J’ai fait ce que j’ai pu, mais nous aurions fait mieux si nous avions bénéficié de davantage de créneaux. J’ai fait ce que je pouvais avec un rendez-vous toutes les semaines pendant des années et qui est ensuite devenu un peu plus rare. Nous touchions bien sûr beaucoup plus de monde quand nous étions diffusés à partir de 22h30, quand aujourd’hui nous passons à minuit ou après. Nous touchions auparavant un public plus jeune. Aujourd’hui, ce n’est pas sûr. Mais c’est la marche du temps et l’évolution de la télévision.
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Que retenez-vous de plus prégnant de ce demi-siècle à l’antenne où vous avez œuvré comme passeur cinéphile ?
Depuis un certain temps, je rencontre pas mal de gens qui me disent : “Grâce à vous, on a découvert des films qu’on ne connaissait pas. Quand j’étais plus petit, mes parents regardaient le Cinéma de minuit, je n’avais pas le droit, mais j’ouvrais la porte et je regardais en cachette, en douce, les films que vous aviez choisis”. Et ça, ça m’émeut, cela me procure un grand plaisir. J’ai l’impression que n’avons pas œuvré dans le désert.
Quels sont les souvenirs les plus forts que vous gardez de ces 48 années de Cinéma de minuit ?
Il y a de tout. Je me souviens de films que j’ai eu la chance de découvrir parce que c’est mon métier. Et au lieu de me dire je les connais et je conserve cette connaissance pour moi, je n’avais qu’une volonté : pouvoir les montrer, régler des problèmes de droits, de négatifs, de copie. Certains étant en voie de destruction. Et je ne l’ai certainement pas assez dit, mais, grâce au Cinéma de minuit, nous avons sauvé ainsi énormément de films qui, aujourd’hui, n’existeraient plus du tout.
À partir du moment où un contrat était à la clé, les distributeurs, les ayants droit et les producteurs devaient en effet mettre à jour les problèmes de droits qui n’étaient pas réglés avec des héritiers souvent abusifs. Cela permettait de payer les travaux de rénovation du négatif pour arriver à une copie parfaite pour la diffusion. Les petits producteurs n’ayant pas assez d’argent, ils ne pouvaient pas le faire. Idem avec les compagnies américaines qui sont souvent un peu paresseuses. Je suis allé forcer à enlever un peu de poussière dans les laboratoires et forcer à découvrir ce qui pouvait être caché et se révéler de grande qualité. Nous avons pas mal forcé les gens à réaliser ces travaux indispensables.
Et pourquoi être resté dans l’ombre, sans apparaître autrement qu’avec votre voix ?
Je ne suis ni acteur ni comédien, je suis un historien du cinéma. Donc je pensais que dans la présentation du Cinéma de minuit, il valait beaucoup mieux que je lise un texte sans que les gens me voient et qu’ils commencent déjà à entrer dans le film sur le point de commencer. Plutôt que de laisser les téléspectateurs se dire : “Tiens, ce présentateur, il est sérieux, sa cravate est de côté, il n’est pas bien coiffé ou il a un bouton sur le nez”. Ce n’est pas très intéressant. Ce qui est intéressant, c’est le film à suivre, et d’essayer de lire un texte informatif sur la période où le film a été tourné et sur le cinéaste lui-même, avec, par bonheur quand j’ai eu la chance d’en bénéficier, quelques citations de lui ou d’elle. Ce texte n’était d’ailleurs pas personnel, je n’y donnais pas du tout mon avis.
La cinéphilie, l’amour du cinéma, son analyse vont-ils demeurer à la télévision après votre départ et des émissions remplissent-elles aujourd’hui cette mission ?
Ce n’est pas à moi qu’il faut poser la question. Je sais ce que j’ai fait. Ensuite, je constate qu’il n’y a pas énormément d’émissions consacrées au cinéma à la télévision. Il ne faut pas oublier qu’il existait par le passé un ciné-club sur France 2 orchestré par mon camarade Claude-Jean Philippe. Il n’a pas été remplacé [NDLR : demeure l’émission Beau geste, de Pierre Lescure].
Moins de films anciens sont diffusés qu’avant à la télévision, c’est évident. Les seuls à faire un boulot très estimable, de défricheur, c’est Arte. Avec aussi la mise en valeur de cinématographies méconnues. On verra ce que cela donnera par la suite et sur quelles chaînes.
La cinéphilie en général ne marche pas bien en ce moment. Les livres de cinéma ne fonctionnent pas bien, les DVD de films anciens ne marchent pas bien, les salles de cinéma ferment de plus en plus. Les plateformes remplaceront-elles tout ça ? Je n’en suis pas sûr du tout. Du tout.
Il y a moins de cinéphiles aujourd’hui qu’au moment où j’ai commencé à m’intéresser au cinéma, il y avait toute une génération extrêmement curieuse. Mais j’espère qu’il existe dans les très jeunes générations des cinéphiles amoureux, curieux et désireux de jouer un rôle de passeur.
Je suis entré à la télévision en 1966. C’est vous dire que j’ai vu beaucoup, beaucoup de choses. J’ai eu des patrons visionnaires, des imbéciles, de tout. J’espère que ceux qui dirigent aujourd’hui, ceux qui arriveront par la suite continueront à penser que le cinéma est un art à part entière, qui mérite d’être montré à la télévision pour permettre notamment aux nouvelles générations de découvrir des films. Il ne faut pas uniquement penser aux gens de mon âge ! Il faut dire aujourd’hui que le travail n’est pas fini, il recommence. Il y a de nouvelles générations. Il faut donc continuer, surtout ne pas s’arrêter. C’est parce que j’ai des petits enfants que je sais qu’il est indispensable de leur montrer des films anciens.
Aujourd’hui, les gens courent les expositions, s’écrasent dans les musées, vont à l’opéra. Il serait paradoxal de ne pas pouvoir leur montrer un film en noir et blanc. C’est vital, c’est de l’histoire de l’art !
Et les plateformes n’ont pas nui à votre émission ?
Passent-elles exactement le même type de films que nous ? J’en doute. Leur offre est-elle remarquable ? Je ne sais pas. Car il ne suffit pas de proposer des centaines de films. Quand vous arrivez dans une bibliothèque et que vous ne savez rien, vous risquez de passer à côté de livres remarquables et vous contenter du premier livre qui traîne sous la main. Si les plateformes fonctionnent comme ça, c’est un danger. Le public n’est pas nécessairement cinéphile et connaisseur. Il faut souvent le prendre par la main. C’était l’avantage d’une case régulière, d’un rendez-vous.
Pour finir, difficile de ne pas vous demander quels grands chefs d’oeuvre du cinéma vous recommandez en priorité ?
Heureusement, j’en ai beaucoup en tête. Si on parle de film français, je conseillerais de voir Le Corbeau, de Henri-Georges Clouzot, ou Panique, de Julien Duvivier. Dans les films italiens, je recommanderais La dolce vita, de Fellini. Et dans les films américains, ce serait un film de Fritz Lang, une comédie musicale de Vincente Minnelli, ou un western de John Ford. On a que l’embarras du choix, heureusement.
> Ce qui caractérise Patrick Brion, c’est d’avoir toujours apporté en voix off un éclairage précieux, estime Philippe Rouyer, critique et historien de cinéma à la revue Positif, chroniqueur dans Le Cercle, sur Canal +
Philippe Rouyer, critique de cinéma : “La question, c’est d’éditorialiser les films et de guider le public, comme le faisait Patrick Brion”
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