Marine Le Pen est au centre du jeu. Grâce à qui ? Grâce à ses électeurs, bien sûr, mais pas seulement. En quelques semaines, dans la vie politique, la fondatrice du RN a acquis une place centrale, inédite. Elle est devenue l’arbitre de la vie politique. Sauf surprise, cet après-midi, Michel Barnier ne sera plus premier ministre, parce que Marine Le Pen l’a décidé.
D’où vient ce pouvoir ? D’une alliance de circonstance, d’une alliance tactique : les voix de gauche mêlées à celles du RN. Cherchez l’erreur… La gauche et l’extrême-droite, ennemies jurées, n’ont pas peur des contradictions. Mais si on va plus loin, depuis la rentrée, qui a donné un rôle central au RN, le rôle de faiseur de roi ? Qui lui a permis d’imposer son calendrier, son tempo, ses lignes rouges ? Michel Barnier.
Pour tenir, pour tenter de faire passer son budget, sur qui le premier ministre s’est-il appuyé ? Sur Marine Le Pen. Rien de secret dans ces échanges. Il suffisait de lire, avant-hier, le communiqué officiel de Matignon : le Premier ministre explique qu’il a téléphoné à la députée du Pas-de-Calais. Marine Le Pen lui a demandé de ne pas baisser le remboursement des médicaments. Michel Barnier a obtempéré. Cela n’a pas suffi, pas plus que l’engagement de revoir l’AME, l’Aide médicale d’État.
France Culture va plus loin (l’Invité(e) des Matins) Listen later
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Au nom du respect
Est-ce la première fois qu’un gouvernement accorde cette place au Rassemblement national, un rôle de partenaire ? Probablement.
Le RN peut-il devenir plus clairement encore l’allié de la droite et du centre ? Un jour, nous avons posé la question à Michel Barnier. C’était le 27 mai 2023, dans Sens politique, sur France Culture, plus d’un an avant qu’il entre à Matignon. Une alliance ? Pas question, affirmait l’ancien Commissaire européen : “Venant d’où je viens, le mouvement gaulliste – on sait avec quelle violence l’extrême-droite française dont sont issus Madame Le Pen et tous ses amis ont traité le général de Gaulle et le gaullisme – il n’y a aucune faiblesse et aucune compromission possibles“.
À Matignon, Michel Barnier n’a pas proposé une alliance au RN, et encore moins d’entrer au gouvernement. Mais il s’est efforcé de ne pas le fâcher. Dès la rentrée, quand le ministre de l’Économie, Antoine Armand, critiquait le Rassemblement national, le premier ministre appelait Marine Le Pen pour la rassurer.
À chaque fois, le locataire de Matignon a le même argument : le respect. Respect pour la vie démocratique – le RN a plus de 10 millions d’électeurs et respect pour ces électeurs eux-mêmes. Cet argument, Michel Barnier l’a répété hier soir à la télévision. Il reproche à ce qu’il appelle “l’extrême-gauche” de ne pas respecter le Rassemblement national. À ce moment-là, il ne parle plus d’extrême-droite.
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Une crédibilité renforcée
Derrière ce mot important, le respect, il y a bien autre chose : l’espoir d’un accord avec le RN, un accord de non-censure, sur la base des exigences de Marine Le Pen. Cet espoir, exprimé noir sur blanc, va laisser des traces. Il donne un nouvel élan au RN.
En quelques années, le Rassemblement national est devenu le premier groupe de l’Assemblée nationale, mais il se heurte toujours à un mur, y compris parfois auprès de ses électeurs : sa crédibilité comme parti de gouvernement. Dans cette enquête récente de l’institut Verian, 41% des sondés estimaient que le RN était incapable de participer à un gouvernement. Cette proportion augmente. Quand un premier ministre présente le RN comme un partenaire, même pour éviter une censure, il lui rend donc un grand service. Il le dope, pour maintenant, et pour la suite.