Le fait même de poser cette question parait surréaliste et nous montre que les dictatures peuvent selon leur bon plaisir transformer la réalité en cauchemar. La semaine dernière, lorsque l’information selon laquelle Boualem Sansa avait été interpellé, probablement le 16 novembre, à l’aéroport d’Alger, et ne donnait plus depuis aucune nouvelle, était déjà apparue incroyable. Rien ne pouvait a priori justifier une telle mesure.
Je me souviens qu’en 2015, Boualem Sansal, depuis son domicile de Boumerdes, à 50 km d’Alger, m’avait au téléphone dicté le contenu cinglant d’un texte pour le 1 hebdo. Dans son propos au vitriol, il décrivait dans le détail ce qu’il appelait Les 7 plaies de l’Algérie, énumérant le FLN, l’armée, la police intérieure, le socialisme qu’il qualifiait de mangeoire clientéliste, et bien sûr les islamistes. Devant la dureté de son propos, je l’avais interrompu en lui demandant s’il ne risquait rien à me parler ainsi, car je supposais à raison qu’il était écouté. « Non, m’avait-il répondu en substance, et très calmement. Je suis comme une caution de liberté d’expression pour eux. S’ils me laissent parler ainsi, c’est qu’ils ne sont pas une dictature ». C’était il y a bientôt dix ans.
Pourquoi les choses ont-elles brutalement changé pour Boualem Sansal ?
Brutalement, vous avez raison cher Jérôme, puisqu’après dix jours d’arrestation sans avoir été assisté par le moindre avocat, l’écrivain qui, je me dois de vous le dire, est aussi un ami cher, a été inculpé d’atteinte à l’intégrité nationale et placé sous mandat de dépôt par un procureur spécialisé dans les dossiers de sureté de l’État. Face à cette décision arbitraire qui rappelle les lettres de cachet de l’Ancien Régime, on pourrait dire qu’il n’y a pas de texte sans contexte. Les écrits et les propos de Boualem Sansal sont soudain apparus intolérables par le régime militaire alors que la relation entre la France et l’Algérie s’est fortement dégradée depuis que le président français a changé de politique sur la question historiquement très sensible du Sahara occidental.
Il y a quelques jours encore, Emmanuel Macron a réaffirmé que la résolution de ce problème relevait désormais de la souveraineté marocaine, alors que Paris avait jusqu’ici soutenu Alger, et implicitement le Front Polisario, dans sa revendication de ce territoire. Voilà pour le contexte, auquel s’ajoute le prix Goncourt récemment décerné à Kamel Daoud pour son roman Houris, dont les vérités qu’il met en lumière sur la décennie noire en Algérie ont mis en rage ses dirigeants.
Dans ces conditions, pourquoi le soutien à Boualem Sansal en France n’est-il pas unanime ?
La réponse est douloureuse. Ce qui est en jeu, à travers le sort cruel réservé à l’écrivain devenu français cette année, c’est la liberté. La liberté d’expression, la liberté de mouvement. Et la liberté n’a pas de parti. Elle se défend sans condition. Or on assiste soit à une récupération de cette affaire par la droite et surtout l’extrême-droite, soit à un silence assourdissant de la part moins de la gauche non LFI qui a condamné clairement l’arrestation de Boualem Sansal que de l’extrême gauche qui n’a pas daigné le défendre au nom de ce principe pourtant intangible en démocratie de la liberté d’expression.
Je ne partage pas forcément les positions de Boualem Sansal sur les frontières actuelles de l’Algérie, exprimées qui plus est dans un média Zemmourien. Pour autant, sa parole libre ne saurait en rien justifier ce qu’il lui arrive. L’académicien Jean-Christophe Rufin proposera demain à ses pairs d’élire Boualem Sansal sous la Coupole. A ce jour, seulement une dizaine d’hommes en vert le soutiennent officieusement, c’est bien peu et c’est bien dommage.
A la une du 1 cette semaine : Au secours le chômage revient. Et la parution d’un hors série XL conascré à la réouverture de Notre-Dame
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